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dimanche, mars 12, 2006

CPE ou emploi à vie

Le mot précarité avait un sens avant les CNE-CPE. Exclusion, précarité, pauvreté, les trois marches de la descente aux enfers sociale. Il a pris depuis quelques mois, par une sorte de déviation du vocabulaire dont nous sommes si friands, une signification qui finit par l’emporter sur les autres et qui se réfère presqu’exclusivement à l’emploi: l’emploi précaire, la précarité de l’emploi. La connotation a son importance, puisqu’elle associe misérabilisme et travail. Et voici désormais qu’il s’agit, pour nos jeunes diplômés, de précariser leur premier emploi. Déjà si difficile à obtenir, il faudrait donc qu’il soit, en plus, un contrat de misère!


La gauche a vu bien entendu très vite tout le parti qu’elle pouvait tirer de la promotion de la peur dans l’imaginaire des plus jeunes, qui n’avaient pourtant besoin de personne pour regarder leur avenir avec inquiétude. Les syndicats aussi qui, peinant à trouver des relais chez les jeunes salariés, et dont l’audience tend à se réduire au fil de la montée des corporatismes, ne pouvaient laisser passer une telle aubaine. La précipitation sans doute un peu inutile du Premier ministre a fait le reste, confirmant, s’il en était besoin, que ce pays ne peut se réformer que dans des convulsions. La montée en puissance du mouvement anti-CPE s’apparente désormais à un phénomène de groupe, dont les mouvements lycéens et étudiants constituent pour les sociologues le laboratoire permanent.


Des débats très vifs à propos du CNE ont très rapidement dérivé sur l’inadéquation des formations proposées par l’ Université, qui serait à l’origine des difficultés rencontrées par les jeunes diplômés universitaires pour trouver un premier emploi. Il me semble entendre encore les amphis enflammés de 68, l’humour et la révolte en moins. Rien n’aurait donc changé, depuis? Pourtant, si. Car si le mal semble le même, le nombre des malades a en revanche très sensiblement augmenté. La vieille Dame universitaire, toujours aussi pauvre, raide et compassée, a pourtant fait bien des efforts. Elle a tout d’abord octroyé le contrôle continu des connaissances, en lieu et place de l’examen annuel en forme de couperet contre lequel les éternels battus avaient tant lutté. Elle a ensuite débité les diplômes en tranches, courtes, longues ou moyennes. Elle a réparti l’effort en petites doses plus faciles à avaler, les UV. Elle a adapté le contenu de sa formation à tout ce qui, à ses yeux, pouvait la rapprocher du monde réel. Avec juste un train de retard. Elle s’est mise à l’heure de l’ Internet, s’est inventé des maîtrises en communication, avec des sous-spécialités... Et rien n’y a fait. Toujours les mêmes reproches. Les études universitaires seraient inadaptées. Celles des grandes Ecoles seraient infiniment plus adaptées.


Avec de tels arguments, il n’est pas étonnant que les jeunes diplômés universitaires partent battus d’avance à la recherche de leur premier emploi. Et que la perspective d’une flexibilité contractualisée et organisée les effraie à ce point. L’ échec est en effet patent. Les entreprises préfèrent le plus souvent le format carré des Écoles, et tout particulièrement des Écoles de commerce, à celui des Universités, lorsqu’il s’agit d’un premier recrutement. Mais à y regarder de plus près, c’est probablement dommage . Quant au contenu de l’enseignement, est-il réellement la principale raison de cette situation?


Dommage, car une formation universitaire bien faite laisse bien plus d’initiative à l’étudiant pour s’ouvrir à une culture plus générale et bien plus vaste que la stricte "science" du management, dont, d’ailleurs, les entreprises n’ont pas vraiment besoin lorsqu’elles recrutent un jeune diplômé. De toutes façons, toutes reprennent des formations, maison pour les plus grandes, ou sur le tas pour les plus petites. A quelques exceptions près relevant de domaines très techniques, ce n’est donc pas vraiment un problème de contenu. Les universités excellent d’ailleurs dans les domaines techniques qui leur sont exclusifs (Droit, médecine), mais à condition qu’une sélectivité suffisante puisse être assurée, qui garantisse une meilleure homogénéité des diplômes obtenus et en assure la crédibilité, ce que les Écoles ont appris depuis longtemps. L’ Université, coincée par sa vocation publique et des principes d’un autre âge, gère des troupes bien trop nombreuses aujourd’hui, pour que leur soit garantie l’assurance d’un job contre un diplôme. La compétition est partout désormais. Sur les marchés, entre les entreprises, entre les hommes dans les entreprises, entre les candidats toujours plus nombreux que le nombre de postes à pourvoir. La compétition, c’est la vie. N’en déplaise aux tenants d’un modèle français désormais condamné par la globalisation.


A la lecture de quelques commentaires concernant le CPE, on est en droit néanmoins de s’interroger sur l’adéquation du profil de certains étudiants à la demande étroite du marché. Et sur l’idée qu’ils se font de l’entreprise et du travail en général. Comment peut-on préférer, à 25 ans, devoir attendre plus d’un an pour trouver un job, au risque potentiel d’un CPE? Comment ne pas voir que le CPE, c’est justement une excuse de plus enlevée à ceux qui voudraient, qui pourraient embaucher, mais qui se sont donné tous les prétextes pour ne pas le faire? Comment ne pas y voir une chance de justement faire la différence, de mettre en valeur sa créativité, son dynamisme, sa motivation et son désir d’apprendre? Comment croire sérieusement qu’un patron, qui aura consacré plusieurs mois à la formation d’une nouvelle recrue à peine dégrossie au sortir de ses études, se résoudra de gaîté de coeur à la remplacer avant la fin du CPE? Alors, où est le risque, vraiment? Est-il plus prudent de ne rien faire, de ne rien changer et de ne rien tenter? Peut-on reprocher à un Premier ministre qui, quels que soient les enjeux, a pris le risque de déplaire, d’avoir avancé vite des propositions pour l’action? Les propositions présentées comme alternatives par une revenante de l’utopie, Martine Aubry, seraient risibles si elles ne contribuaient pas à graver plus profondément encore l’ultime recours à l’ État-Providence, dans une opinion déjà désemparée.


Faisons le pari du succès. Le CPE, c’est aussi et peut-être avant tout l’occasion d’une prise de conscience salutaire, du côté des employeurs. Ce n’est pas une précarité misérabiliste. Il organise simplement, et sans drames inutiles, les conditions dans lesquelles l’insatisfaction des uns ou des autres aurait à s’exprimer en cas d’échec. Il n’y a pas, il n’y aura plus d’emploi à vie. Les entreprises n’ont pas non plus la vie éternelle. Autant le savoir et agir vite.
Pour finir sur une note personnelle, je suis diplômé de l’Université et chef d’entreprise. Mon premier salaire était tout juste au niveau du SMIC de l’époque, avec un contrat résiliable sans indemnités sous un mois de préavis. Comme quoi tout peut arriver...

Via Agora.